Benoit Lemercier : Infiniment…
Elégant et un brin réservé, Benoît Lemercier n’est pas un artiste au sens classique du terme… D’ailleurs, il n’aime pas ce mot : “Artiste” !!! Son travail est très conceptuel. Lorsqu’à 30 ans, il se décide enfin à devenir pleinement « artiste », son engagement est soutenu par François et Danielle Morellet, Aurélie Nemours, Véra Molnar et Julije Knifer. Gottfried Honegger l’encouragera plus tard dans la voie de la sculpture. Pour construire son travail plastique, il s'est rapproché de l'univers des sciences, en particulier celui lié aux recherches fondamentales actuelles. Afin de proposer un voyage au cœur de la matière, il a organisé et divisé sa production en 2 séries appelées « Hypercubes » (vers l’infiniment grand) et « Supercordes » (vers l’infiniment petit)… Sa manière d’aller d’un infini à l’autre…
Vous dite qu’être artiste est un engagement fort, mais encore ?
Benoît Lemercier : Oui en effet, je le pense sincèrement et pour tout vous dire j’en ai pris conscience au cours des 15 années qui ont précédé le fait que je devienne artiste et surtout que j’ose dire que j’étais un artiste, bien que je n’utilise jamais ce mot. J’aime dire que je suis sculpteur, mais dire de moi que je suis un artiste, reviendrait à dire que je suis certain que ce que je fais est de l’art et j’ai bien trop de modestie pour avoir cette prétention et cette certitude. Alors pourquoi un engagement, tout simplement parce que je ne pense pas que le rôle d’un artiste soit de prendre un positionnement politique ou autre… je pense que d’autres, comme les hommes politiques, les journalistes ou les écrivains ont l’aptitude à le faire. Le rôle d’un artiste est me semble t il de parler de choses essentielles, intemporelles qui puissant toucher chacun le plus longtemps possible et pour cela d’essayer dans son mode d’expression de s’éloigner le plus possible du quotidien. Camus en parlait merveilleusement dans son discours lorsqu’il a reçu le prix Nobel, et il disait en conclusion : “Est ce qu’un artiste doit être solitaire ou solidaire ?” … Donc solitaire dans son atelier comme je le suis beaucoup, ou solidaire avec les gens qui l’entourent ? Personnellement j’ai envie de dire que je suis les deux, à la fois très solitaire, concentre, très appliqué et il y a une vraie conviction dans ce que je fais, mais solidaire, non pas en adhérant à un parti politique, mais en essayant d’apporter un peu de beauté et d’espoir à la société. L’art, c’est comme un phare qui doit apporter un éclairage sur des moments de doutes, sur la condition de l’homme... et montrer le chemin ! Donc oui, être artiste est un engagement fort !
Contrairement à d’autres qui s’inspirent de ce qui les entoure, vous puisez votre inspiration dans les sciences.
B.L. : Oui, absolument. J’ai toutes ces formes que je sculpte, dans mon cerveau depuis très longtemps, mais il y en avait un peu trop, je me suis donc dit qu’il fallait ordonner tout cela et puis parallèlement dans mon éducation assez autodidacte, j’ai trouvé que la science fondamentale était assez passionnante. Lire un livre scientifique de haut niveau est bien plus passionnant qu’un roman policier. Je me suis donc dit que mon travail pouvait donner des formes que le monde ne perçoit pas.
On peut noter 4 axes fondamentaux dans votre travail : l’infiniment grand, l’infiniment petit, l’impalpable et la couleur… pouvez vous nous en parler ?
B.L. : L’objectif de tout artiste est de réaliser l’oeuvre la plus belle et la plus complète qui soit. Si un artiste n’a pas cette ambition, il me semble qu’il faut qu’il change de métier. En m’intéressant à l’infiniment grand et à l’infiniment petit, j’enlace le plus possible le monde. Par ailleurs, cela correspond à mon côté parfait exigeant et obsessionnel en voulant aller le plus loin possible et parfois au-delà. Et puis nous avons besoin de la dualité en toute chose… même dans la recherche de l’unique, car lorsqu’on a atteint l’unique c’est la mort.
Votre travail est à la fois intellectuel et sensuel. En quoi est ce important pour vous ?
B.L. : Créer pour moi c’est comprendre, donc oui il y a dans mon travail une démarche intellectuelle. Exécuter est un acte d’alchimie, on prend des matériaux et on les transforme définitivement et çà, c’est être responsable. La sensualité est dans la matière et dans les formes.
En 2000, vous avez créé un mouvement : “le mathemetisme” … de quoi s’agit il ?
B.L. : Il s'agit d'un mouvement d'art, que j'ai imaginé en 2001, avec beaucoup de sérieux et un peu d'humour, afin d'ajouter un "isme" à la longue liste des mouvements d'art du XX ième siècle.
Avec ce mouvement artistique, sans doute l'un des premiers mouvements du nouveau siècle, j'ai souhaité mettre en avant l'importance des mathématiques dans l'organisation de l'Univers. La mathématique est une information et cette information participe à l'ordonnancement de la Matière. C'est cette dernière qui est perceptible par nos sens.
Par exemple, ce que nous appelons le hasard est l'insuffisante capacité de calcul de notre cerveau à appréhender un événement dans sa globalité.
La question est aussi de savoir si les Mathématiques sont une conception humaine qui permet de comprendre le monde ou bien est-ce que les mathématiques existent sans la réalité du cerveau humaine?
Par Carla de Wendel
ENCADRÉ :
En 6 dates…
1981: Premier dessin conceptuel "La classification périodique des Eléments"
1999 : Installation de l'atelier de sculpture dans le Gers
2000 : Création du "Mathématisme"
2004 : Inauguration de la sculpture "Hypercube" par le ministre de la Culture dans le parc de l'Espace de l'art Concret
2010 : Première exposition à la galerie RX - Paris
2014 : Publication de la monographie "Benoît Lemercier - D'un infini à l'autre" - Edition d'art SOMOGY